Hôtel du Gros-Colon

- 1 -

 

La corruption

 

 

Messieurs Grandjaune et Labière sont assis au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon ; le serveur indochinois en veste blanche se tient en faction devant eux. Des enceintes s’écoule une version vietnamienne de Comme Les Rois Mages.

 

Grandjaune:

(se curant les dents)

Tant que les notables de l’ex-Indochine continueront à se payer des Mercedes avec les subventions internationales destinées à leurs compatriotes nécessiteux, je continuerai à crier : tout va bien !

 

Labière:

C’est comme moi. Mon chauffeur ne veut plus de la Toyota. Il menace de démissionner si je ne lui paye pas une Mercedes.

 

Grandjaune:

(contemplant un bout de viande

au bout de son cure-dents)

Ceux qui prétendent que l’argent occidental devrait être justement réparti  parmi ceux qui crèvent de faim ou de maladie au lieu d’atterrir dans les poches des dirigeants corrompus ne sont que des romantiques humanitaires aveuglés par les poncifs du caritarisme galopant !

 

Labière:

(allumant un cigare)

Mon pauvre chauffeur ! Il a honte de notre vieille Toyota quand il va chercher mon petit dernier à la grille du lycée français…

 

Grandjaune:

Le premier soin des parvenus de nos anciennes colonies est d’inscrire dans les meilleures écoles leurs rejetons obèses, gâtés depuis l’enfance par des nounous esclaves. C’est la crème de nos professeurs qui est mobilisée afin de transmettre à ces héritiers les connaissances nécessaires pour gérer la fortune ignominieusement amassée par papa !

 

Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.

 

Labière:

(soufflant un nuage de fumée)

Une Mercedes ! Tout ça pour faire comme son frère qui est chauffeur, LUI, dans une organisation internationale. Mais moi, alors, pas question : j’ai horreur des bagnoles allemandes…

 

Grandjaune:

(empoignant son verre

avec une sombre détermination)

Laissons-les faire !… Laissons-les se rouler dans l’or, se soûler au Cognac, arroser les cuisses de leurs courtisanes de parfum français et vomir sur les coussins de leurs berlines de luxe !

 

Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir.

 

Laissons-les pourrir. Des mafias d’aujourd’hui naîtront les élites de demain !!!

 

Labière:

(souriant, faisant signe au serveur)

J’ai trouvé un compromis : je vais essayer d’avoir une 4x4 par le bureau…

 

Après une révérence, le serveur remplit leurs verres.

 

- 2 -

 

La francophonie

 

 

Messieurs Grandjaune et Labière sont assis au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon ; le serveur indochinois en veste blanche se tient en faction devant eux. Des enceintes s’écoule une version vietnamienne de A Nous Les Petites Anglaises.

 

Grandjaune:

(se curant les dents)

Ceux qui ont le tort de considérer avec fatalisme l’expansion fulgurante de la langue anglaise dans toute l’ex-Indochine ne méritent qu’une peine : la fusillade.

 

Labière:

C’est comme moi. Ma fille est en lettres classiques et il n’y a pas un seul professeur de grec ancien au lycée français…

 

Grandjaune:

(contemplant un bout de viande

au bout de son cure-dents)

Renoncer au maintien de notre belle langue dans cette région du monde relève de la trahison devant l’ennemi. C’est dés aujourd’hui qu’il faut, d’une langue ferme, le palais fier et les dentales bien dures, bouter l’anglo-saxon hors d’Indochine ou bien la population sombrera bientôt dans l’enfer linguistique du roast-beef, du Coca-Cola et des vécés sans portes !

 

Labière:

(allumant un cigare)

J’ai demandé au bureau d’engager un professeur de grec privé, mais ces salauds ont refusé. Finalement, on a trouvé un cours au lycée international de Bangkok. Du coup, la petite est là-bas, en pension…

 

Grandjaune:

De toute urgence, cessons de confier l’enseignement de la belle langue française à des post-hippies animés d’un pédagogisme bêlant doublé de pacifisme impénitent. Il faut se battre ! Allons chercher nos vieux instituteurs à la retraite et fournissons-leur des badines !  

Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.

 

 

Labière:

(soufflant un nuage de fumée)

Je ne m’en plains pas. J’ai rencontré une jolie Thaïlandaise à Bangkok. Tous les quinze jours, je dis à ma femme que je vais voir notre fille et hop, sawatdee, la petit cochonne !… Sawatdee, ça veut dire bonjour.

 

Grandjaune:

(empoignant son verre

avec une sombre détermination)

Importons nos hussards noirs de la république. Réhabilitons les abécédaires. Remettons au programme et au tableau noir la morale du jour. Ré-enseignons la liste des départements de la métropole et que la Seine naît sur le plateau de Langres ! Appelons à la rescousse nos ancêtres les Gaulois !

 

Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir.

 

Le français est la seule langue des droits de l’homme, annihilons ceux qui s’opposent à sa gloire !

 

Labière:

(souriant, faisant signe au serveur)

Tao raï : « combien » ; Put : « parler » ; Kohn : « devant »… Le thaï est une langue très facile à apprendre ! Il faudra que je demande comment on dit « par derrière »…

 

Après une révérence, le serveur remplit leurs verres.

- 3 -

 

La prostitution

 

 

Messieurs Grandjaune et Labière sont assis au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon ; le serveur indochinois en veste blanche se tient en faction devant eux. Des enceintes s’écoule une version vietnamienne de Les Petites Femmes De Pigalle.

 

Grandjaune:

(se curant les dents)

Ceux qui s’offusquent de la fréquentation des bordels indochinois par les humanitaires de tous âges, de l’acnéique puceau au cacochyme pervers ne sont que d’hypocrites tartufes aux organes englués dans une pudibonderie d’un autre âge !

 

Labière:

C’est comme moi. Hier soir, le bureau m’a envoyé assister à une pièce de théâtre jouée par des anciennes prostituées repenties. Il paraît que le théâtre constitue une excellente thérapie…

 

Grandjaune:

(contemplant un bout de viande

au bout de son cure-dents)

Les humanitaires sont des hommes comme les autres. S’ils se sacrifient avec abnégation pour soulager la misère indigène, ces saints des temps modernes n’en sont pas pour autant des moines ayant fait vœu de chasteté !

 

Labière:

(allumant un cigare)

Je ne pouvais pas m’empêcher, regardant les actrices, de penser qu’elles officiaient encore il y a peu dans les plus sordides des maisons closes…

 

Grandjaune:

Si les humanitaires en proie au rut tropical se font surprendre dans les bras de leurs amours tarifées, s’exposant aux crachats des jaloux, c’est qu’ils n’ont, en vérité, pas d’autre solution !

 

Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.

 

Labière:

(soufflant un nuage de fumée)

Il y avait une petite brunette avec un de ces regards hardis…

 

Grandjaune:

(empoignant son verre

avec une sombre détermination)

Si les ONGs prenaient leurs vraies responsabilités, elles embaucheraient et entretiendraient en des lieux idoines des travailleuses de confort dévouées, sanitairement contrôlées, parlant et maniant plusieurs langues !

 

Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir.

 

La Légion, du temps de sa gloire, n’agissait pas autrement avec ses héros ! Allons de l’avant sans fausse pudeur ! Inventons dés maintenant le bordel humanitaire de campagne !

 

Labière:

(souriant, faisant signe au serveur)

Il y avait une quête à la fin de la pièce. C’était la petite brune qui tenait le chapeau. Je me suis fendu de dix dollars. Je m’en fous, je ferai une note au bureau…

 

Après une révérence, le serveur remplit leurs verres.

- 4 -

 

La natalité

 

 

Messieurs Grandjaune et Labière sont assis au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon ; le serveur indochinois en veste blanche se tient en faction devant eux. Des enceintes s’écoule une version vietnamienne de Tous Les Enfants Du Monde.

 

Grandjaune:

(se curant les dents)

La première conséquence du déferlement des aides sur les pays sous développés, c’est l’explosion de la natalité. Et là, je crie : gare !

 

Labière:

C’est comme moi. Ma sœur ne peut pas avoir d’enfant. Elle m’a demandé de lui en chercher un à adopter…

 

Grandjaune:

(contemplant un bout de viande

au bout de son cure-dents)

Quoiqu’en disent les experts internationaux stipendiés pour leurs pieux mensonges et autres professionnels de la charité organisée, le premier souci des peuples rescapés, une fois la hutte remise sur pieds, c’est de participer activement à la surpopulation planétaire !

 

Labière:

(allumant un cigare)

Après l’Afrique, mon beau-frère a été nommé au siège. Du coup, ils se sentent seuls dans leur grande maison à Rambouillet…

 

Grandjaune:

Tandis que, pleins de bon sens, les Indiens et les Chinois stérilisent leurs femelles, nous encourageons la naissance de hordes marmailleuses qui débordent des écoles en ruines sous les yeux épuisés de leurs professeurs, répandent la terreur dans les rues et, quoiqu’en disent les optimistes professionnels de la mondialisation, n’achèteront jamais de robots-mixers ni de perceuses multi-usages.

 

Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.

Labière:

(soufflant un nuage de fumée)

Dans l’adoption, ils ne s’emmerdent pas. Ils savent qu’il y a de la demande. Je n’ai rien trouvé à moins de cinq cents dollars. Finalement, quand j’en ai parlé à notre bonne, elle m’a proposé un de ses neveux…

 

Grandjaune:

(empoignant son verre

avec une sombre détermination)

Avec notre habituelle inconscience, nous dépensons des fortunes à garantir la croissance de millions de futurs soldats et soldates prêts à nous égorger en chantant et en brandissant des portraits de leurs leaders !

 

Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir.

 

Cessons de nourrir la main qui va nous mordre ! Gardons notre argent, nos vaccins et nos vitamines pour nos têtes blondes, car elles seront demain notre dernier rempart !

 

Labière:

(souriant, faisant signe au serveur)

Bon, d’accord, il lui manque une jambe. Mais il ne coûte que trois cent dollars. Je devrais pouvoir me faire rembourser par le bureau…

 

Après une révérence, le serveur remplit leurs verres.

- 5 -

 

La restauration

 

 

Messieurs Grandjaune et Labière sont assis au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon ; le serveur indochinois en veste blanche se tient en faction devant eux. Des enceintes s’écoule une version vietnamienne de Le Petit Vin Blanc.

 

Grandjaune:

(se curant les dents)

Depuis la réouverture de l’ex-Indochine au commerce international, force est de reconnaître cette appétissante réalité : le produit français qui s’implante avec le succès le moins contestable, c’est le « petit restau bien de chez nous ».

 

Labière:

C’est comme moi : ma femme veut toujours manger local. Elle prétend que ça l’excite…

 

Grandjaune:

(contemplant un bout de viande

au bout de son cure-dents)

Quand les deux tiers de la population meurt encore de famine, les enseignes gastronomiques champignonnent le long des avenues de toutes les capitales. Plantés au milieu des hordes faméliques, des effigies de cuistots en contreplaqué proposent au badaud toutes les spécialités du lointain terroir. Les coolies en détresse s’égorgent pour un bol de riz pourri quand les meilleurs légumes du marché finissent sur les bonnes tables en julienne, terrine et robe des champs. Je n’y vois rien à redire !

 

Labière:

(allumant un cigare)

Mon aînée suit un régime à base de hamburgers et de whisky on the rocks ; le fiston ne mange plus ailleurs que dans un petit restaurant philippin : il est amoureux d’une des serveuses…

 

Grandjaune:

Attablé en terrasse devant un ballon de Côtes-du-Rhône sous le regard des enfants nus au ventre trop rond, le Français reste philosophe : sa salade aux foies de volailles sera-t-elle moins délectable s’il la partage ? Quel pourcentage de saucisse de Morteau lancée à la foule constituerait-il un seuil acceptable de générosité ?

 

Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.

 

Labière:

(soufflant un nuage de fumée)

La cadette est en pleine phase pizza-jambon…

 

Grandjaune:

(empoignant son verre

avec une sombre détermination)

N’éprouve pas de fausse honte, citoyen de France ! La mondialisation repose sur l’échange des talents. Nous n’avons rien de mieux à offrir, hormis le TGV et Michel Sardou, que notre savoir-bouffer !

 

Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir.

 

Gorgeons-nous sans entraves ! le seul indicateur fiable de développement, c’est le volume de sauce au Roquefort consommé par an et par habitant !

 

Labière:

(souriant, faisant signe au serveur)

J’ai résolu le problème : je leur donne tous les tickets-restaurants que je rafle au bureau. Moi, je vais manger japonais. Je ne supporte plus que les sushis…

 

Après une révérence, le serveur remplit leurs verres.

- 6 -

 

Le mariage

 

 

Messieurs Grandjaune et Labière sont assis au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon ; le serveur indochinois en veste blanche se tient en faction devant eux. Des enceintes s’écoule une version vietnamienne de La Maladie d’Amour.

 

Grandjaune:

(se curant les dents)

Ils me font rire, ces blancs-becs à peine débarqués de métropole qui se pavanent dans les rues, rayonnants, le bras roulé autour de la jeune fille indigène qui partage leur couche !

 

Labière:

C’est comme moi : ma cadette est tombée amoureuse du jardinier…

 

Grandjaune:

(contemplant un bout de viande

au bout de son cure-dents)

En terre de misère, l’expatrié français royalement salarié, propre et bien éduqué, héritier putatif d’un pavillon meulière est un gibier de choix pour les jeunes filles affamées qui ne rêvent que d’une chose : se faire épouser !

 

Labière:

(allumant un cigare)

Ma femme les a surpris. Elle était furieuse. Elle aimait beaucoup le jardinier…

 

Grandjaune:

Maintenu en adolescence attardée par une décennie d’études, inhibé devant les harpies libérées de son entourage, préparé depuis le berceau par sa maman moderne à prendre des vessies pour des lanternes et un va-et-vient tarifé pour un authentique acte d’amour, le quasi-puceau de la néo-colonisation n’est jamais long à se faire convoler

 

Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.

 

 

Labière:

(soufflant un nuage de fumée)

J’ai pris le gars à part et je lui ai proposé cinq cent dollars pour qu’il laisse ma fille tranquille jusqu’à sa puberté. Il a poussé des hauts cris…

 

Grandjaune:

(empoignant son verre

avec une sombre détermination)

Comme toujours, nos services diplomatiques sont en retard sur notre temps. Qu’attendent-ils pour créer des agences matrimoniales réglementées et subventionnées où les jeunes mâles expatriées trouveront les moitiés sélectionnées, éduquées, obéissantes, silencieuses et douces auxquelles, n’en déplaise aux hystériques du féminisme humanitaire, ils ont droit ?

 

Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir.

 

La dame blanche a déserté son foyer ! Plus que jamais, la femme indigène est l’avenir de l’homme !

 

Labière:

(souriant, faisant signe au serveur)

Ce salaud veut deux mille dollars ! Je vais voir s’ils peuvent me faire une avance, au bureau, mais je me demande si ça va passer…

 

Après une révérence, le serveur remplit leurs verres.

- 7 -

 

La grande distribution

 

Messieurs Grandjaune et Labière sont assis au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon ; le serveur indochinois en veste blanche se tient en faction devant eux. Des enceintes s’écoule une version vietnamienne de On Est Foutus On Mange Trop.

 

Grandjaune:

(se curant les dents)

Depuis l’abandon du communisme pur et dur, les capitales de l’ex-Indochine voient fleurir une pléthore de supermarchés aux rayonnages emplis d’anchois portugais, de sauce au pesto italiennes et autres corned beef britannique. Je dis : Bravo !

 

Labière:

C’est comme moi. J’ai fait douze supermarchés sans pouvoir trouver mon after-shave…

 

Grandjaune:

(contemplant un bout de viande

au bout de son cure-dents)

Ceux qui voient dans cet état de fait autre chose qu’une avancée définitive de la civilisation ne sont que des utopistes attardés en mal de collectivisation !

 

Labière:

(allumant un cigare)

Heureusement, j’ai un copain franco-chinois qui est patron d’une supérette…

 

Grandjaune:

L’expérience l’a prouvé : les enfants qui ont découvert le monde depuis le siège pliant d’un chariot de supermarché ne deviennent jamais des guérilleros ! Désormais, on peut voir des terroristes repentis tendre leurs cartes gold à des caissières déguisées en majorettes américaines, ou bien deux politiciens naguère ennemis mortels échangeant des courbettes devant les armoires à surgelés !

 

Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.

 

Labière:

(soufflant un nuage de fumée)

Il va commander mon after-shave en France. Il a des prix chez Carrefour…

 

Grandjaune:

(empoignant son verre

avec une sombre détermination)

Plus personne n’hésite entre totalitarisme ou démocratie, socialisme réel ou royauté, junte militaire ou régime parlementaire. Devant les gondoles de produits en promotion, panier de plastique au poing, le nouveau citoyen se pose enfin les vraies questions : normal ou allégé ? Nature ou avec des morceaux de fruits dedans ?

 

Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir.

A quoi les subventionneurs pensent-ils ? Il faut soutenir les supermarchés de toute urgence ! De la consommation découle le consensus ! le compromis moderne est un produit vendable en soldes !

 

Labière:

(souriant, faisant signe au serveur)

Bien sûr, ça va me coûter bonbon, mais je m’en fous, j’ai droit à des frais supplémentaires, au bureau…

 

Après une révérence, le serveur remplit leurs verres.

- 8 -

 

Le patrimoine

 

 

Messieurs Grandjaune et Labière sont assis au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon ; le serveur indochinois en veste blanche se tient en faction devant eux. Des enceintes s’écoule une version vietnamienne de J’Aimerais Tant Voir Syracuse.

 

Grandjaune:

(se curant les dents)

Du point de vue de l’Indochinois de base, le temple bouddhiste ne constituent ni un lieu de dévotion, ni une merveille archéologique, ni même un trésor du patrimoine mondial, mais d’abord et avant tout une formidable trappe à touristes !

 

Labière:

C’est comme moi, le bureau m’a envoyé au Cambodge faire visiter les temples d’Angkor à des investisseurs japonais. Je me suis pris deux cent cinquante dollars par jour, plus l’avion et l’hôtel…

 

Grandjaune:

(contemplant un bout de viande

au bout de son cure-dents)

N’en déplaise aux incorrigibles conservateurs qui larmoient à longueur de conférence sur la prétendue fragilité des vieilles pierres, les temples d’Asie se verront appliquer la règle planétaire en vigueur au pied des pyramides d’Egypte comme au sommet du Machu Pichu: ce sont les vestiges du passé qui font le pognon du futur !

 

Labière:

(allumant un cigare)

Je rarement mieux bouffé qu’à Angkor. Il y tellement de bons petits restaurants qu’on ne sait plus ou donner du ventre…

 

Grandjaune:

Ayant avalé son continental breakfast, le retraité planétaire du vingt et unième siècle gagnera en minibus climatisé le temple le plus proche ou des hôtesses souriantes et minijupées le guideront le long de parcours stérilisés et désodorisés, protégés par des vitres à l’épreuve des balles !

Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.

 

Labière:

(soufflant un nuage de fumée)

Steak avec des vraies frites, plateau de fromages et banana-split à la vanille, le tout pour douze dollars. Plus un petit Saumu-Champigny qui coulait tout seul. Ah, les temples d’Angkor…

 

Grandjaune:

(empoignant son verre

avec une sombre détermination)

Allons de l’avant ! L’argent que le touriste ne dépense pas est de l’argent perdu ! Installons des distributeurs de boissons fraîches dans les salles de prières ! Branchons des jackpots devant les bas-reliefs ! Offrons aux enfants des bouddhas en caoutchouc mousse ! Lançons des campagnes de marketing offensif : les temples, c’est fun !

 

Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir.

 

Labière:

(souriant, faisant signe au serveur)

Un jour, j’ai même mangé trois fois. J’ai mis la note avec les autres. Ils n’y ont vu que du feu, au bureau…

 

Après une révérence, le serveur remplit leurs verres.

 

 

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