Pigalle Blues - Chapitre 1

J’ai rencontré le grand amour de ma vie un premier août à l’aube.

C’était la première nuit du mois des chaleurs, coup d’envoi officiel du grand raz-de-marée estival sur Pigalle. Les aoûtiens du cul et les touristes de la canaille avaient déferlé dans les rues et les bars du quartier bien avant le crépuscule.

Le Gaby-Tabou était comble d’une foule ivre et bruyante. L’air de la salle était brûlant, saturé de fumée, du parfum de la sueur et de vapeurs d’alcool. Des visages grimaçants et hilares aux cheveux collés sur le crâne surgissaient tels des masques de théâtre antique au hasard des lumières tournoyantes.

Moi, j’étais au piano.

C’était mon boulot : pianiste d’ambiance du cabaret le Gaby-Tabou, chargé d’accompagner tout au long de la nuit en douceur et mélodies nos clients dans leur quête du plaisir.

 

Son regard – oui, déjà, son regard à elle – m’a fait lever la tête et la découvrir, à quelques mètres de moi, devant la scène.

Elle était adossée à l’un des piliers recouverts de miroirs, une main dans la poche de son jean, un verre dans l’autre. Nonchalante. Jolie. Brune. Fraîche. Singulièrement calme, étrangère à la cohue soûle qui nous entourait.

Immobile, la tête penchée sur le côté, un demi-sourire aux lèvres, elle me regardait.

Je fus cramé dés cet instant.

La beauté de son visage, la fixité de ses yeux immenses fixés sur moi, qui me détaillaient en toute impudeur, sans équivoque possible, m’a captivé.

Quand mon regard a croisé le sien, j’ai ressenti un tel bonheur, une émotion si poignante, que je n’ai pu m’en détacher.

Fasciné, j’étais.

Hypnotisé.

 

Mécaniquement, je continuais à jouer un blues à la gloire de la bière et du bourbon que m’avait commandé un gros Anglais, dont il reprenait le refrain en chœur avec ses copains braillards.

Sitôt plaquée la dernière note, je me levai et fis signe à Mickey, le barman derrière son comptoir, de mettre en route une cassette pour le temps de ma pause.

J’ai sauté dans la foule et me suis frayé un passage dans sa direction.

Elle n’avait pas bougé, se contentant de suivre mon approche de ses grands yeux au fond desquels brillait une lumière joyeuse.

Belle.

Immensément belle au fond de ce bouge, fraîche jeune fille en simple T-shirt blanc, avec ses cheveux courts de garçon, ses courbes généreuses, sa pose nonchalante.

Belle et auréolée de mystère.

 

- Bonsoir, je suis Lucas.

Elle a souri et mon cœur s’est mis à battre très fort.

Ses pommettes hautes et le noir soyeux de ses cheveux, dont une unique mèche libre balayait son front, donnaient à son visage un petit air oriental. L’étrange blancheur de sa peau, en cette saison de filles bronzées, m’a donné envie de frôler sa joue du bout de mes doigts.

Elle a secoué son verre dans sa main fine, comme dans un instant d’hésitation. Puis elle a souri.

- Salut… Moi, c’est Fred.

J’ai aimé sa voix, bizarrement rauque, un peu cassée et aussi chaude comme une caresse, vibrant en moi comme une note de contrebasse. Mais surtout, par dessus tout, j’ai aimé ses yeux.

Ils étaient bleus comme l’océan le soir, d’une teinte plus foncée que la normale, sombre, profonde, avec les lumières de son sourire qui dansaient dessus comme des reflets de lune…

 

 

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